Plus de débat sur la laïcité dans les écoles françaises

Narcisse Kouamé

Selon un sondage de Odoxa-Backbone Consulting parut dans le Figaro au mois de mars 2024, 78 % des Français estiment que la loi sur la laïcité est en danger, en particulier dans les établissements où, avec l’interdiction du port de signes religieux ostensibles, menaces, peurs et incompréhensions sont devenus le pain quotidien des acteurs du système éducatif.

La question de la laïcité à l’école continue de susciter le débat dans la société française. Pour mémoire, la  LOI n° 2004-228 du 15 mars 2004 relative à l’application du principe de laïcité en milieu scolaire mentionnait que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève ». Le bilan à l’occasion du vingtième anniversaire de cette loi en cette année reste mitigé. En effet, elle n’a pas encore réussi à combler les attentes de ceux qui pensent que la présence des religions dans les écoles peut mettre en péril la laïcité.

C’est le cas du proviseur du lycée Maurice-Ravel à Paris qui, pour raison de sécurité, a demandé la retraite anticipée qui lui a été accordée le 26 mars dernier. En fait, il avait enjoint à une étudiante, inscrite en BTS dans son établissement, de retirer son voile. Il s’en est suivi des menaces de mort et des intimidations qui n’ont pas manqué de susciter l’émoi chez les enseignants et membres du personnel éducatif. Comme lui, beaucoup d’autres sont victimes d’oppositions liées à une stricte application de la loi sur la laïcité à l’école. Le ministère de l’éducation nationale en France a dressé un portrait de la situation. A la date du jeudi 28 Mars 2024, on dénombre 323 menaces, dans 44 départements et 20 académies. Et pourtant dans l’esprit des membres de la commission Stasi, qui a rédigé cette loi de laïcité, l’espace scolaire devrait rester un lieu de liberté et d’émancipation. Tout semble indiquer le contraire.

Dans les faits, même si cette loi s’applique à toutes les religions, il faut souligner que la religion musulmane est la plus en vue dans ce dossier. En effet, selon le journal le Monde, « la majorité des cas ayant un écho médiatique sont liés à des revendications avancées au nom de la religion musulmane ». Certains, sur le port du voile par exemple, estiment qu’il s’agit d’un habit culturel et non cultuel et donc qu’il n’est pas nécessaire de l’interdire.

Selon un sondage IFOP de 2021, 52 % des lycéens seraient favorables au port de signes religieux ostensibles dans les lycées prônant ainsi une laïcité plus ouverte. Et même des enseignants du second degré seraient du même avis. Cependant, pour certains observateurs, ces avis sont motivés avant tout par la crainte d’être victime d’un attentat. Il y des raisons d’avoir peur, par conséquent, il y a une forme probablement d’autocensure qui s’institue.

Par ailleurs, si aujourd’hui la laïcité à l’école peine à trouver son chemin, c’est parce que, pour l’historien Jean Baubérot, elle s’est lancée dans un combat contre les religions. Pour cela, il avait été le seul membre de la commission Stasi qui s’est abstenu de voter le rapport à l’origine de la loi sur laïcité à l’école. En fait, dans la pensée de notre historien, la nouvelle compréhension de la laïcité trahit l’esprit de la loi de 1905 conçue par Aristide Briand qui était plus pour une laïcité conviviale. Ce qui manque aujourd’hui c’est justement cette capacité à intégrer les religions et non à les combattre.

            Alain Policar, chercheur associé au Centre de recherches politiques de Sciences Po, évoque quant à lui une instrumentalisation de la laïcité par la politique. En ce sens, il souligne qu’en France, on a choisi de combattre le terrorisme islamiste avec la laïcité, ce qui est aberrant.  Une autre difficulté de l’application de cette loi est liée au fait qu’elle semble ne pas avoir d’incidence sur l’enseignement privé sous contrat. En effet, dans les écoles privées, la règle sur l’interdiction du port de signes religieux n’est pas respectée. Et le gouvernement semble ne pas intervenir dans la sphère des écoles privées.

Tout ceci fait apparaître un réel besoin de repenser la laïcité dans les écoles en France pour qu’elle ne soit pas un sujet de tension. Car, le milieu scolaire ne doit pas devenir un champ de bataille où peur et défiance s’affrontent faisant naître un environnant peut propice à l’apprentissage.

Crédit photo: LP/Rémy Gabalda